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20 Giugno
L'impossible reforme de l'universite italienne PDF Stampa E-mail

La loi de 1997 qui donnait davantage d'autonomie aux universités n'a pas produit les effets escomptés: rigidités persistantes, clientélisme, explosion du nombre des filières, dérives financières... Signe du malaise ambiant, de plus en plus de jeunes partent à l'étranger et les inscriptions dans les facultés diminuent. La réforme en projet changera-t-elle la donne ?

Lucca, cité toscane de 90.000 habitants, patrie de Boccherini et Puccini. Ses remparts médiévaux bâtis sur les restes d'une enceinte romaine, ses innombrables églises aux clochers de marbre blanc... et son université spécialisée dans les institutions, les marchés et les technologies (IMT). Ouvert en 2004 dans l'ancien monastère San Micheletto, l'établissement est de toute beauté. Il accueille une cinquantaine d'étudiants en doctorat. Sa bibliothèque ultramoderne occupe la nef de l'église San Ponziano. Ses salles de cours, lumineuses, ouvrent sur un ravissant jardin de curé. Et ses chambres silencieuses, équipées de toutes les connexions possibles et imaginables, ont un accès direct à une salle de sport high-tech et un vrai restaurant. Bref, un petit paradis à faire pâlir d'envie tous les campus transalpins. L'IMT de Lucca, en vérité, constitue un terrain d'expérimentation. 11 veut démontrer que, en matière d'enseignement supérieur, l'autonomie financière et pédagogique a un sens. Aussi s'estime-t-il à l'avant-garde en Italie et prétend-il concurrencer la prestigieuse Bocconi de Milan, au même titre que le collège Carlo Alberto de Turin, créé lui aussi il y a six ans dans le cadre d'un partenariat public-privé.

A Lucca, c'est une alliance atypique qui a donné naissance au projet. D'un cité, l'université Santa Anna de Pise et l'Ecole polytechnique de Milan. De l'autre, la Caisse d'Epargne de Lucca et l'université Luiss de Rome, sous l'aile de son propriétaire, l'organisation patronale Confindustria. Financé à 50-50 par le public et le privé, l'IMT est piloté par un conseil d'administration composé de douze personnes : quatre représentants des fondateurs, six représentants des institutions financières (fondations bancaires, entreprises, chambres de commerce, collectivités locales) et deux membres indépendants. Cette instance rend tous les arbitrages en matière de dépenses et nomme le directeur, nécessairement un professeur d'université. Celui-ci est révocable mais il a les mains libres en matière de fonctionnement, car le recteur, lui, n'est que « primus inter pares ». En clair : il préside l'établissement sans disposer de pouvoirs propres. Fabio Pammolli, l'actuel directeur, juge le système très efficace. «Nous nous alignons sur les critères internationaux pour recruter les enseignants chercheurs », explique-t-il. «Tous les ans, je me rends au "job market" d'Atlanta, aux Etats-Unis, pour sélectionner des candidata que je fais ensuite venir à Lucca pour un entretien, raconte-t-il. Cette année, j'ai reçu 500 sollicitations pour trois postes à pourvoir, c'est dire notre attractivité !» Concernant la rémunération, ce sont les standards européens qui s'appliquent : 5.000 euros par mois (contre 1.800 euros dans la fonction publique, le plus bas niveau de l'OCDE). «le préfère recruter moins de professeurs et mieux les payer », fait valoir le directeur; qui tient à le souligner: «A Lucca, nous ne faisons rien de plus que ce que prévoit la loi».

Feinte des talents

Comptabilité patrimoniale, certification budgétaire, transparence dans le recrutement des enseignants chercheurs... Voilà déjà plus de dix ans que l'Italie pratique, en théorie du moins, ce que la France est en train de mette en œuvre avec la réforme Pécresse de 2007. Dans l'Hexagone, les deux tiers des universités (51 exactement) viennent d'adopter un statut autonome et les autres devraient le faire d’ici à 2012. De l'autre coté des Alpes, tout a commencé en 1997, avec la loi Berlinguer, du nom du ministre de l'Instruction du premier gouvernement Prodi. Sauf que la réforme n'a pas produit les effets escomptés. « La situation est restée hybride, avec des rigidités excessives dues au fait que tout repose encore sur le budget de l'Etat », estime Fabio Pammolli. Aux yeux de Massimo Egidi, recteur de la Luiss, «donner l'autonomie à quelqu'un qui n' a jamais connu la liberté n'est pas chose facile: L'Etat a commis l'erreur de ne pas prévoir d'évaluation, seule condition pour s'assurer de la bonne allocation des ressources.»

L’idée était de pouvoir mieux moduler les carrières des enseignants, en donnant une grande liberté dans le recrutement et la définition des plans de formation, ainsi que dans l'organisation des enseignements. « Cela a eu des effets inflationnistes sur les effectifs », observe un expert français : «De 50.000 emplois en 1998, les effectifs sont arrivés à 62.000 dix ans plus tard, soit une hausse de 24 %, alors que la population estudiantine ne progressait que de 7 % sur la même période » Même chose en ce qui concerne les filières - elles sont aujourd'hui 370 en Italie contre 70 en France - et les enseignements disciplinaires, passés de 120.000 en 2002 à 180.000 en 2008. Une « offre » de moins en moins adaptée aux attentes des étudiants... Qui n'hésitent plus à poursuivre leur cursus à l'étranger. Le gouvernement évalue à 50.000 le nombre de jeunes qui ont fait leurs valises l'an passé et, dans un livre intitulé «La Fuite des talents» («La Fuga dei talenti», San Paolo, mars 2009), le journaliste Sergio Nava assure que 110.000 diplômés d'université quittent chaque année la Botte italienne. Enfin, de nombreux cas de dérives financières ont été mis au jour sur la période récente. L’Italie a découvert que sept de ses plus prestigieuses universités étaient en situation de quasi-faillite, à commencer par la Sapienza de Rome, la plus peuplée d'Europe. En septembre dernier, son recteur, Luigi Frati, a tiré la sonnette d'alarme en assurant que, fin 2010, il ne serait sans doute pas en mesure de payer tous ses professeurs.

Evaluation et mérite

Pour toutes ces raisons, Silvio Berlusconi, revenu aux commandes du pays au printemps 2008, a pris le sujet à bras-le-corps et l'a confié à l'une de ses plus jeunes ministres, Mariastella Gelmini, à peine âgé de trente-six ans. Une nouvelle réforme est donc en marche, avec deux mots défis : l’évaluation et le mérite. Adoptée au Sénat le 20 mai, elle sera débattue à partir de la semaine prochaine à la Chambre des députés et doit entrer en vigueur début 2011. Premier objectif: rendre la gouvernance enfin efficace. Les recteurs vont voir leurs prérogatives renforcées et la nomination d'un directeur général va devenir obligatoire. Ce dernier sera le vrai patron administras et financier, comme à Lucca. « Pour l'instant c'est le recteur qui fait la loi, or celui-ci est désigné par un conseil formé de professeurs, ce qui favorise le clientélisme et les baronnies de toutes sortes », déplore un député de la majorité.

Plan d'austérité

Deuxième objectif : améliorer la situation des enseignants. Le nombre de filières va être divisé par deux, l’âge minima requis pour enseigner va baisser de trente-six à trente ans, et des contrats à durée déterminée de trois ans, renouvelables une fois, vont être instaurés pour les jeunes chercheurs. La profession, qui compte déjà 26.000 chercheurs en CDD, soit un tiers des effectifs globaux, est très remontée contre ces mesures, craignant une précarisation accélérée. La contestation est d'ailleurs en train de monter et nombre de chercheurs ont fait part de leur indisponibilité pour la rentrée prochaine. Conséquence, plusieurs facultés disent ne pas être en mesure de pouvoir accueillir tous les étudiants après les vacances. «Nous sommes conscients de la nécessité de réformer le système, encore faut-il que les moyens suivent Or; pour l'instant les engagements de l'Etat diminuent et les universités sont dans une grande souffrance», déplore le professeur Bartolomeo Azzaro, en charge de la recherche à la Sapienza.

Troisième objectif de la réforme, justement: évaluer les performances des universités et cibler les dotations de l'Etat en fonction des résultats obtenus. Sont ainsi prévus l'adoption de codes éthiques, l'élaboration de programmes budgétaires triennaux, la publication de bilans consolidés et le renforcement des missions de l'Autorité nationale d'évaluation de l'université et de la recherche (Anvur), équivalent de notre Agence nationale d'évaluation de l'enseignement supérieur et de la recherche. «Comme en France, les pouvoirs publics vérifieront que les universités ne font pas n'importe quoi. En cas de transfert d'emplois et de masses financières l'université devra s'engager sur des plafonds à ne pas dépasser», précise l'entourage de la ministre.

 

Voilà pour les principes. Mais, «avec la crise économique et le plan de rigueur de 25 milliards d'euros que vient d'adopter le gouvernement, cette énième réforme arrive au pire moment », s'inquiète un recteur du secteur public qui préfère conserver l'anonymat. Il faut dire que le budget des universités d'Etat est passé de 7 milliards d'euros en 2009 à 6,8 milliards en 2010, et qu'il reculera à 5,5 milliards en 2011. Le plan d'austérité annoncé fin mai gèle tous les recrutements jusqu'en 2014. Pour palier en partie la décrue, le ministre de l'Economie, Giulio Tremonti, a promis de mobiliser une portion des recettes exceptionnelles tirées de l'amnistie fiscale accordée l'an dernier aux Italiens qui acceptaient de rapatrier leurs avoirs placés illégalement à l'étranger. «En Italie, une université privée conte entre 7.000 et 10.000 euros par an, il y a de la marge quand on sait qu'aux Etats-Unis, le montant de l'année scolaire peut aller jusqu’à 60.000 euros, observe un responsable patronal. Si chaque étudiant payait de sa poche 50 euros par mois en plus, tous les problèmes du secteur public seraient résolus». Une hypothèse écartée d'emblée par le gouvernement Berlusconi, ce qui explique sans doute qu'un certain consensus politique se dessine. Il est vrai que l'heure est grave. Après avoir constamment progressé durant dix ans, la proportion des jeunes de vingt-cinq ans détenant un diplôme de l'enseignement supérieur (licence ou maitrise) ne cesse de reculer depuis 2006, relève l'Institut national de la statistique (Istat) dans son rapport annuel sur la situation économique et sociale du pays, publié il y a quelques jours. Confirmation du très réputé cabinet Censis, dans son rapport 2009: depuis quatre ans, les inscriptions dans les facultés diminuent. Les classements internationaux, eux, sont sans appel. En termes de dépense annuelle par étudiant, en proportion du PIB par habitant, l'Italie arrive en 24e position parmi les pays de l'OCDE (la France est 16e). Pis, elle est bonne dernière (30e sur 30, dix rangs derrière la France) s'agissant de la part des dépenses publiques consacrée à l'enseignement supérieur. (G. Delacroix, Les Echos 09-06-2010)
 
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